«1789, 1917, 1949 : de ces trois dates, la dernière n'est pas la moins importante. Elle est, de surcroît, liée de façon plus directe aux préoccupations de l'homme de la seconde moitié du XX? siècle. Ainsi la signification universelle de la révolution chinoise et l'importance pratique qu'elle revêt pour les contemporains retiennent-elles dès l'abord. Mais la révolution chinoise est l'aboutissement d'une histoire singulière. On s'exposerait aux plus graves contresens en abordant directement son étude comme si elle constituait le type même de révolution de notre époque : la révolution dans un pays colonial (ou semi-colonial) sous-développé.» Depuis sa parution en 1967, on comprend à lire ces lignes pourquoi cet ouvrage est très vite devenu un classique contemporain. Cette nouvelle édition, mise à jour pour tenir compte des multiples travaux parus depuis lors, garde le récit général de la révolution, mais le prolonge par un substantiel essai d'interprétation qui, loin de faire de cet événement un paradigme universel, en révèle la dimension proprement nationaliste.
L'accession de la Chine au rang de deuxième puissance économique mondiale confère une meilleure image à la révolution chinoise qu'à la russe. Elles ont pourtant presque tout en commun : la révolution chinoise a d'abord été une copie conforme de l'autre, Mao Tsé-toung ne connaissant guère le marxisme qu'à travers la vulgate de Staline. Puis il a pris conscience moins des vices de son modèle que de son inadaptation à un pays surpeuplé du tiers-monde.
Mais au lieu de corriger le modèle, il a prétendu aller plus loin et plus vite dans le même sens. À la différence de la réplique d'un séisme, d'ordinaire moins catastrophique, le Grand Bond en avant est une réplique aggravée du premier plan quinquennal soviétique (1929-1933), conçu en fonction d'une fin rêvée sans tenir compte des possibilités. Et c'est en tournant le dos à la révolution que la Chine se développe à vive allure.
Finalement, le panorama que fait ressortir Lucien Bianco de son étude est assez similaire : système politique, surexploitation de la paysannerie, entraînant les deux plus grandes famines du siècle, mise au pas des intellectuels, répression, camps. La comparaison entre Staline et Mao qui couronne le tableau le conduit à remonter jusqu'à Lénine et à faire sien le constat d'un historien chinois : "Autant que possible, le mieux est d'éviter de recourir aux révolutions."
Sinologue « engagé » mais discret à l'écriture élégante, Lucien Bianco a commencé ses recherches par l'observation de la paysannerie chinoise dont il est le spécialiste incontesté. Puis il s'est intéressé, sans illusions, à des descriptions et analyses de la réalité du communisme chinois. Il a été l'un des premiers et rares sinologues à avoir dénoncé dès 1970, la logique délirante de la Révolution culturelle. Puis il a continué à écrire sur la Chine jusqu'à aujourd'hui. Cet ouvrage rend donc hommage à une personnalité attachante, largement méconnue, tout en conviant le lecteur à un parcours dans la Chine du XXe siècle à travers le regard de l'un de ses meilleurs connaisseurs. Une plongée impressionnante dans l'histoire des cinquante dernières années de la Chine, extrêmement précise et documentée. Un véritable ouvrage de référence pour une connaissance approfondie de la Chine contemporaine.